samedi 7 novembre 2015

Titus n'aimait pas Bérénice

Nathalie Azoulai

POL, 2015

Prix Médicis 2015
☀ ☀

Racine tel que vous ne l'avez jamais vu.

Racine. A l’évocation de ce nom me reviennent en mémoire quelques souvenirs profondément enfouis. Des lectures scolaires, bien sûr ; pas forcément celles qui m’avaient le plus éblouie ; une lamentable expérience théâtrale dans laquelle m’avait entraînée ma meilleure amie. Malade de trac et de timidité, j’y avais joué un bien piètre Pylade (aucun garçon n’ayant voulu participer à l’aventure)... Bref, ce n’est clairement pas du côté du Grand Siècle que j’ai connu mes premiers émois littéraires !

C’est passablement intriguée que j’ai ouvert le livre de Nathalie Azoulai : aborder Racine à travers l’histoire d’une rupture amoureuse, chercher en lui et en ses pièces l’impossible réconfort, voilà qui me laissait perplexe. Comment trouver un écho à la douleur chez celui qui m’apparaissait comme l’incarnation du classicisme, le chantre d’une langue corsetée dans l’alexandrin, le tenant de la raison contrariant la passion ? Je demandais à voir.

Et bien ce que j’ai vu c’est à quel point je méconnaissais et l’auteur et l’homme.
Là où j’avais l’image d’un courtisan sévère et austère, j’ai découvert un être animé de passion, que la perte précoce d’une mère, très vite suivie de celle du père, puis l’éloignement d’une tante, avaient trop tôt privé de gestes de tendresse ; un homme qui manifestait dans l’amour des femmes une vigueur que je ne lui aurais pas soupçonnée ; un auteur inquiet de la réception de ses œuvres. Car c’est bien là que réside le plus surprenant pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pour nous, Racine, c’est la langue classique par excellence, c’est la rigueur grammaticale, la perfection de la langue à son apogée.  Phèdre ou Andromaque ont une dimension presque sacrée dans le panthéon littéraire national.
Or, le classique d’aujourd’hui n’est rien d’autre que le moderne d’hier. Nathalie Azoulai nous révèle les audaces de Racine écrivant ses vers. Elle imagine ses doutes, elle évoque ses partis pris privilégiant l’effet plutôt que le respect de la forme. Elle nous dépeint les pâmoisons de la partie féminine de son public, qui n’ont rien à envier à celles que connaîtront plus tard les lectrices de Balzac ou de Hugo, séduites qu’elles furent, toutes, par un style inédit et la hardiesse des propos.

Il se dégage du très beau texte d’Azoulai une énergie à laquelle je ne m’attendais pas. On y perçoit un amour pour un auteur qui finit par être contagieux. En superposant une situation amoureuse d’aujourd’hui à celles des héroïnes de Racine, elle révèle subtilement la permanence des sentiments humains et, par là-même, le caractère intemporel des tragédies de Racine, comme de toutes les grandes œuvres littéraires. 
Et elle suscite le désir ardent de retourner vers des textes que l’on avait remisés au fond de nos bibliothèques, pour en souffler la poussière et y déceler toute la modernité que l’on avait trop vite oubliée.



Caroline - qui connaît bien mieux Racine que moi - a aussi adoré !





19 commentaires:

  1. Je l'ai acheté hier ! Je n'ai pas étudié Racine, j'ai donc tout à découvrir de ce côté-là et le mélange histoire contemporaine et passé me rend curieuse. J'avais lu "mère agitée" de l'auteur, dans un genre très différent. J'avais aimé.

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    1. L'aspect contemporain est nettement moins présent que l'aspect plus historique. C'est très subtil et, à mon sens, très réussi.
      J'ai hâte en tout cas de connaître ton avis sur ce livre.

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  2. Ton billet est formidable !!! Une réfractaire au Grand Siècle convertie parAzoulay , c'est vraiment plein d'espoirs. Moi Racine est l'origine de beaucoup d'émoi littéraire et c'est mon premier pont Avec Aragon, je suis folle de joie à l'idée de le lire.

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    1. Tu devrais adorer, alors. Tu fais aussi partie de celles dont j'ai vraiment envie de connaître l'avis !!! Lis-le vite ! ;-)

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  3. Je connais très peu Racine, mais le billet de Caroline avait attiré mon attention, et le tien enfonce le clou...ce qui est drôle, c'est que j'ai découvert l'auteur en lisant "D'après une histoire vraie", quand Delphine de Vigan mentionne ses camarades de prépa qui sont devenus également écrivains

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    1. Je me souviens en effet que Delphine de Vigan mentionnait une camarade de classe également devenue écrivain, mais je ne me souviens pas qu'il s'agissait de Nathalie Azoulai. Si j'avais lu les deux livres dans l'ordre inverse, sans doute cela m'aurait-il frappé !

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  4. j'ai beaucoup aimé aussi et bien que les prix me laissent un peu indifférente je regrette que l'auteur reparte sans rien car son livre est original et d'une belle écriture

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    1. Mais si, Dominique, elle vient de recevoir le Médicis !

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  5. Oui, le Médicis et je suis ravie pour elle, alors! Envie de le lire (et aussi Racine!)

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  6. J'ai beaucoup lu Racine à la fa étudié sa vie aussi, et j'ai même réussi à l'aimer encore après ça ! "Bérénice" est même la pièce que j'aime par dessus tout, celle dont je connais aujourd'hui encore de nombreux vers (avec "Dom Juan"). j'avais envie de découvrir ce roman, puis je viens d'entendre "La Dispute" et je ne suis plus aussi tentée, je crains que ce ne soit trop moderne...

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    1. Trop moderne, je ne crois pas... C'est une lecture de Racine et de son oeuvre dans ce qu'ils ont d'intemporel. Azoulai nous dit en quoi cet auteur continue de nous intéresser aujourd'hui.
      Ceci étant dit, tu ne fais visiblement pas partie des personnes qui ont besoin d'en être convaincues...

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  7. Très intriguée je dois dire par ce roman, j'y viendrais peut-être...!

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  8. J'aime la façon dont l'auteur a apparemment traité son sujet avec une vraie ambition (et avec un vrai talent, à te lire, c'est indiscutable !).

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  9. Il me tente ce livre. J'ai toujours été plus Racine que Corneille.

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