dimanche 14 décembre 2014

Plus jamais ça


Andrés Trapiello

Quai Voltaire, 2014


Traduit de l’espagnol par Catherine Vasseur


Un témoignage sur la guerre d'Espagne qui se double d'une fort intéressante et pertinente réflexion sur la manière d'aborder l'Histoire.

C’est par la voie de la fiction que cet auteur espagnol a choisi de revenir sur l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire de son pays, et en tout cas celui qui marque le plus fortement de son empreinte la société espagnole d’aujourd’hui. C’est ce que démontre brillamment ce livre.   

Le roman s’ouvre dans la ville de Léon sur une rencontre fortuite. Celle d’un vieil homme avec son fils devenu historien, qui s’est irrémédiablement éloigné de lui, et celle, simultanée, avec un vieil homme qui reconnaît en lui l’un des phalangistes ayant assassiné son propre père en 1936.
S’ensuit une enquête à la fois privée et publique pour découvrir ce qui s’est réellement passé : qui a tiré la balle qui a tué cet homme et qu’a-t-il été fait du corps, jamais retrouvé ? Ce qui est particulièrement intéressant dans ce livre, c’est sa façon d’aborder les choses. La profession exercée par l’un des protagonistes - le fils devenu historien pour tenter de comprendre comment son père a pu devenir phalangiste - l’amène à poser un regard distancié sur les événements, alors même qu’il en est parti prenante, l’obligeant par là-même à accomplir le chemin inverse de celui qui l’a amené à choisir une profession qui lui permettait de chercher à comprendre son père sans l’interroger directement. Au-delà de ce cas de schizophrénie individuelle, ce que Trapiello démontre, c’est précisément la difficulté qu’ont les Espagnols à regarder et à évaluer ce pan de leur histoire récente. 
Il s’efforce d’apprécier les événements non pas en termes de bons et de mauvais, mais en termes de vaincus et de vainqueurs. Dès lors, on ne peut escamoter le fait que les Républicains ont eux aussi commis des exactions. Mais il est impossible aujourd’hui de leur en faire reproche; on ne peut que les taire pour ne pas leur faire payer deux fois le prix de leur défaite. 
Au contraire, il reste primordial de débusquer les vainqueurs d’hier, les franquistes qui ont réussi à faire carrière jusque sous le régime démocratique né après le décès du Caudillo, sans pour autant créer une fracture au sein de la société. Exercice ô combien délicat et périlleux, tant toutes les familles peuvent être encore sensibles au sujet et tant il peut être tentant pour certains de jouer les hérauts d’une Vérité moralement irréprochable... pour mieux servir leurs propres intérêts personnels.

Pour traduire son propos, Trapiello a choisi de recourir à un procédé de narration tout à fait classique, mais qui se révèle ici particulièrement judicieux: en alternant le point de vue des différents protagonistes, il parvient à restituer toute la complexité de la situation et à en faire ressortir toutes les zones d’ombre et les non-dits.

Pas étonnant qu’El pais l’ait élu meilleur livre de l’année, comme le proclame le bandeau qui le ceint.

Découvrez ici une citation de l'auteur


6 commentaires:

  1. J'ai repéré ce livre qui me paraît en effet très intéressant sur cette période de l'histoire en Espagne. J'espère qu'il arrivera à la bibliothèque.

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  2. Ca a l'air vraiment triste, non ?...

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    1. Le contexte est noir et dramatique, par la force des choses. Mais le livre n'est pas triste. C'est sans doute lié aux changements de points de vue, qui donnent à voir les événements sous divers angles.

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  3. Je ne l'avais pas repéré et je voudrais bien connaître mieux la littérature espagnole... hop, noté !

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    1. C'est une bonne entrée en matière !
      Pour ma part, j'apprécie beaucoup les auteurs espagnols. Il y en a de très intéressants... comme partout sans doute ! C'est une question de sensibilité.

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