samedi 31 mai 2014

En finir avec Eddy Bellegueule


Edouard Louis

Le Seuil, 2014



Le témoignage sans fard d'un jeune homme qui a été contraint d'opérer une mue complète pour pouvoir vivre en accord avec son identité sexuelle. Pour pouvoir vivre, simplement.


Je ne serais pas allée naturellement vers ce livre, dont on a beaucoup parlé lors de sa sortie. Le sujet, la polémique autour de la notion de roman, la question du rapport entre littérature et réalité qui, pour être fort intéressante, me semble néanmoins trop souvent posée en des termes irritants... Mais le hasard a voulu que je le gagne à un tirage au sort proposé par les Editions du Seuil sur Twitter (vivent les réseaux sociaux!)...

Or j’avoue l’avoir lu avec intérêt. Le récit de l’enfance de ce jeune homme ne peut laisser indifférent, et la peinture qu’il fait de son milieu est tout à fait édifiante : une famille, une population parmi les plus défavorisées, à laquelle ne sont réservés que des emplois au rabais - quand emploi il y a - recevant une éducation en pointillés, évidemment totalement privée d’accès à la culture et reproduisant de génération en génération des stéréotypes aussi éculés que révoltants.
Cette effrayante peinture d’une frange de notre société peut sembler, d’un premier abord, parfaitement caricaturale. C’est en tout cas, ce que j’ai pensé. Pourtant, à en croire l’auteur, qui a été amplement sommé de s’expliquer à ce sujet, voire de se justifier, tout ce qu’il exprime est vrai. Bien sûr, le format d’un livre - ici quelque 200 pages -, en donnant une image condensée de cette existence, en accentue sans doute les aspects les plus sordides. En plus d’une occasion, j’ai ressenti de l’écoeurement et de la révolte face à ce qui m’était montré. Pourtant, il n’était pas question pour moi de détourner pudiquement le regard. Il me semblait devoir au moins à ce jeune homme le respect de le suivre jusqu’au bout. 
Néanmoins, en dépit de ce sentiment de révolte que je viens d’évoquer, je n’ai pas été profondément touchée par ses propos. Je n’ai pas été remuée comme il m’arrive de l’être par certaines lectures qui témoignent du combat d’un individu pour exister. Je n’aurais pas su dire vraiment pourquoi, dans la mesure où ce livre est manifestement empreint d’une grande sincérité et que l’auteur y fait une courageuse mise à nu. En outre, le texte mêle habilement la parole du narrateur ayant opéré sa mue et le langage pour le moins fruste des autres personnages. Peut-être est-ce parce que ce qui est constitutif de son identité est trop éloigné de la mienne, qui suis d’un milieu différent et qui n’ai pas connu le rejet qui a été le sien en tant qu'homosexuel. Mais je crois que ce n’est pas seulement cela. On peut éprouver de l’empathie pour ce qui nous est totalement étranger. 

C’est en visionnant des interviews de l’auteur (merci Internet !) que je crois avoir mis le doigt sur l’origine de ma réserve. En effet, ce n’est pas un simple témoignage que veut nous livrer Edouard Louis. S’inscrivant dans une mouvance de réflexion socio-philosophique -ses références clairement affirmées sont Didier Eribon et Pierre Bourdieu- Edouard Louis semble avoir choisi la voix de la littérature - et du roman - sans se départir d’un projet qui me semble avoir davantage à voir avec la sociologie justement. A cet égard, il est tout à fait révélateur de le voir répéter sur les plateaux télé que son livre aurait pu s’appeler «Les excuses sociologiques». 
Or, il me semble que de ce fait son texte s’en trouve empreint de froideur. Le narrateur,  observateur distancié de lui-même y perd, me semble-t-il, de sa chair. Rien ne semble devoir le toucher, alors même qu’il exprime un profond désespoir à ne pouvoir entrer dans les schémas qui lui sont imposés, ce qu’il voudrait pourtant. Cette douleur va très loin, puisqu’exclu de son clan, il n’a d’autre issue que celle de fuir, sans que cela résulte d’une décision qui lui soit propre. Il lui a fallu, seul, et alors qu’il était parfaitement étranger à ses codes, parvenir à se faire une place ailleurs, dans un espace inconnu, insoupçonné, dans une classe sociale à des années lumières de la sienne. Son succès dans cette entreprise résulte sans doute de rencontres déterminantes et de son intelligence autant que de sa volonté. Cela témoigne aussi du fait, quoiqu’il en dise, qu’au-delà des déterminismes sociaux dont je me garderais bien de nier et l’existence et l’emprise sur les individus, ces derniers conservent néanmoins une part de libre arbitre. 

Edouard Louis est un tout jeune homme d’à peine plus de 20 ans, qui vient de renaître, qui a dû pour cela changer d’état civil, et qui avait sans doute besoin de faire un geste fort  pour ancrer sa nouvelle identité pleinement assumée. Je vois son livre comme un acte fondateur. En cela c’est un livre fort. Et je pense qu’il a besoin à présent de gagner en maturité, en sérénité peut-être, et en assurance aussi. Car la place qu’il a acquise de haute lutte ne saurait lui être contestée. Dès lors qu’il se sentira pleinement légitime, il pourra se libérer de toutes les formes de théories et de toute tentation de démonstration pour donner la pleine mesure de son talent.
C’est en tout cas ce que je ressens, et c’est aussi tout le mal que je lui souhaite. 

Ici, le passage d'Edouard Louis à La grande librairie


dimanche 25 mai 2014

Mon sommeil sera paisible


Alain Absire

Gallimard, 2014




Alain Absire revisite le personnage de Robespierre dans un roman aussi subtil et intelligent que magnifiquement écrit.

Etonnant roman, qui brosse un portrait de Robespierre en ses dernières années.
Chacun connaît plus ou moins l’homme des manuels scolaires : l’implacable révolutionnaire qui envoya sans ciller les ennemis de la République se faire guillotiner à tour de bras; l’exact opposé de Danton, cet être paillard et débraillé qui mordait la vie à pleines dents, tandis que Robespierre, d’une inquiétante froideur, ne goûtait aucun des plaisirs terrestres et ne semblait s’animer d’une flamme humaine que lorsqu’il montait à la tribune pour déployer son éloquence... 

C’est bien ce personnage que l’on retrouve sous la plume d'Alain Absire : un être privé de toute forme de sentiment, gouverné par ses seules préoccupations politiques. Cependant, on y découvre un homme plus complexe qu’il n’y paraît, un homme qui, orphelin dès son plus jeune âge, ne sait reconnaître ni encore moins exprimer ce qui s’apparente à de l’émotion, de la tendresse, de l’attirance. 
Tandis qu’il fait la connaissance de Marie, céroplasticienne de son état, à qui il amène le plus ancien prisonnier de la forteresse de la Bastille afin qu’elle en immortalise les traits  en symbole de l’iniquité du régime en train de tomber, il perçoit un trouble qui le met profondément mal à l’aise. Bien qu’il s’en défende, il ne cessera dès lors de rechercher la compagnie de cette femme, allant jusqu’à la seconder lorsqu’elle modèlera toutes les personnalités, vivantes ou mortes, de cette Révolution en train de s’accomplir.

Incapable de tout contact physique, Robespierre répugne autant qu’il aspire à sentir les mains de cette femme se poser sur son propre visage pour en mouler les contours. Sa mort seule lui permettrait de connaître enfin la satisfaction de son inavouable désir.

Mais sa mort signifierait aussi l’échec du seul combat qui importe, l’avènement de la République, le triomphe du peuple et l’abolition de la tyrannie, combat qui justifie toutes les actions, y compris la condamnation à mort, contre laquelle il s’était pourtant vigoureusement élevé - ce que l’on a aujourd’hui oublié. 
Car Robespierre se sent investi d’une mission suprême, qui le dépasse, comme elle dépasse toutes les passions humaines. Tel un prophète, il conduit le peuple vers son émancipation. Le texte d’Absire, à cet égard, est d’une stupéfiante clarté : émaillé d’images et de références religieuses, il transforme peu à peu le glaçant Robespierre en un Christ acceptant le sacrifice suprême de sa propre vie pour la rédemption du peuple régicide.
Mais loin d’en faire un simple illuminé totalement étranger à toute forme d’attachement à la vie, Absire suggère la répulsion qu’il éprouve face à la mort. Jamais Robespierre n’assista à la moindre exécution, et ce n’est pas sans effroi qu’il envisage sa propre mise à mort, qu’il devine inéluctable et que Danton lui avait prédite lorsqu’il passa sous ses fenêtres, dans la charrette qui le menait à l’échafaud.

Sans doute Robespierre devait-il, pour accepter de faire cette ultime offrande, acquérir la certitude d’accéder enfin en mourant à l’inaccessible amour. Non pas celui intellectualisé de l’Humanité - par lequel il était sans doute d’une certaine manière habité, aussi paradoxal que cela puisse paraître -, mais par celui qui nous le rendrait plus humain: l’amour incarné par une femme. 

Ainsi Alain Absire nous offre-t-il, dans une écriture absolument magnifique, une nouvelle lecture de cette figure fondatrice de notre République, dont la plupart d’entre nous ne retient plus que le rôle de grand ordonnateur de la Terreur. Mais auquel nous devons aussi les valeurs constitutives de notre identité nationale et qu’il nous appartient, encore et toujours, de défendre avec détermination : Liberté Egalité Fraternité. Existe-t-il en effet plus belle devise et plus noble programme ?


Cet étonnant portrait de Robespierre est à mettre en regard de celui, également superbe, qu’Hugo Boris a récemment fait de Danton dans Trois grands fauves. Deux textes complémentaires qui redonnent de la chair à deux figures majeures de notre Histoire moderne.

Retrouvez ici des citations de l'auteur

Ecoutez le podcast de l'émission L'Humeur vagabonde consacrée à l'auteur, sur France Inter.

mardi 13 mai 2014

Khomeiny, Sade et moi


Abnousse Shalmani

Grasset, 2014




Avec une liberté absolue et un engagement total, Abnousse Shalmani retrace son histoire et explique comment elle a forgé son identité de femme en revendiquant son opposition à Khomeiny. Un livre et un ton éblouissants. 

Par où commencer ? 
Peut-être en disant tout simplement le choc que cette lecture a été pour moi. 
De ceux, rares, produits par un livre précieux qui vous marque durablement de son empreinte.
C’est sa couverture qui m’a d’abord interpellée : une jeune femme à la chevelure luxuriante, au regard direct nous invite sans détour à écouter son histoire, celle d’une personnalité qui s’est construite entre deux figures dont on n’aurait jamais imaginé qu’il fût possible de les voir associer : Khomeiny et Sade. La couverture promet beaucoup : les pages surpassent toute attente. 

Ce récit résolument autobiographique s’ouvre sur la première provocation d’une petite fille de 6 ans étonnamment précoce. En 1983, au coeur de Téhéran, alors que le Shah a été renversé et que les « barbus » sont désormais au pouvoir, cette petite fille traverse la cour de récréation de son école entièrement nue. Il ne s’agit pas là d’une simple espièglerie, mais d’un pied de nez fait à tous ceux qui veulent la contraindre à cacher son corps sous un voile étouffant. Car elle ne supporte pas ce monde devenu uniformément gris et noir où les femmes sont réduites à des corps coupables qu’il faut cacher. Elle ne comprend pas en quoi son corps d’enfant peut représenter un danger. C’est épidermique, c’est instinctif et c’est son premier cri de révolte. 
Dès lors, jamais Abnousse ne se taira, jamais elle n’acceptera.
Et la nudité deviendra le mode d’expression de sa révolte, comme elle l’a été et continue de l’être pour d’autres femmes, de cette jeune Egyptienne qui choisit de s’exhiber sur Facebook vêtue de simples bas aux Femen bien connues.
Plus aucune minute de son existence ne s’écoulera qui ne soit dédiée à ce combat pour la liberté des femmes. 
Agée de 8 ans, elle gagne Paris avec ses parents, croyant ainsi définitivement échapper à l’emprise des « barbus » et de celles qu’elle nomme les « corbeaux ». Las, quelle ne sera pas sa stupeur de découvrir qu’au coeur de cette république laïque dont elle a immédiatement appris à chérir les valeurs des femmes sont capables de choisir le voile, pendant que d’autres, ailleurs, meurent de devoir le porter !

Alors elle va affûter ses armes. Et ses armes, désormais, ce sont les mots. Ceux qu’elle découvre avec les grands écrivains français, ceux qui visent à pulvériser toute forme de censure, d’exclusion, de fanatisme, d’oppression.

Parmi ces écrivains, il en est un qu’elle place au-dessus de tous les autres, écrivain sulfureux s’il en est, écrivain qu’aucun régime ne put jamais soumettre: le marquis de Sade. Et là encore, il ne s’agit pas d’une simple provocation de sa part. Il faut voir comme elle en parle ! Oui, c’est pénible à lire, intolérable, même. Mais cet homme-là ne s’est jamais autorisé la moindre censure, et sa cruelle imagination fut sa façon de dire à tous ceux qui l’emprisonnèrent tour à tour : entre vos murs, ma liberté reste entière et je me ris de vos pudeurs et de vos préjugés. 
Rire. Abnousse a compris que c’était l’arme ultime. Elle le reprend à son compte et nous parle d’expériences graves et tragiques avec des formules qui dégonflent instantanément tous les bouffis d’orgueil, des barbus aux trotskistes qu’elle trouve également sur son chemin, qui prétendent nier aux femmes le droit d’exister. 

Je ne doute pas que certains trouveront sa parole trop libre, trop radicale, trop crue, trop tout. 
Et pourtant. Des femmes mises sous voile à celles que l’on accuse d’être responsables du viol dont elles ont été victimes ; des femmes qui, à travail égal, continuent d’être moins payées que les hommes à celles qui se font conspuer parce qu’elles ont l’audace de porter une robe lorsqu’elles s’expriment au sein de l’Hémicycle parlementaire; des femmes à qui l’on dénie le droit de choisir de porter ou non une grossesse à son terme à ces jeunes lycéennes nigérianes enlevées pour être vendues comme de vulgaires marchandises, il reste, ici comme ailleurs, un long chemin à parcourir pour éradiquer toutes les formes de violence qui leur sont faites, et leur permettre - nous permettre - simplement d’être.

Alors oui, j’applaudis vigoureusement cette parole courageuse et intelligente, drôle parfois et mordante souvent, qui hisse la liberté et la tolérance au rang de valeurs suprêmes ! 
Et je me dis qu’à l’heure où des responsables politiques prétendent s’émouvoir de l’existence d’un livre où les personnages sont «Tous à poil», le geste de la petite Abnousse reste d’une terrible actualité.



Découvrez ici des citations de l'auteur (J'aurais aimé citer tout le livre !)

Et un très beau billet de La terre Adèle lit

Rendez-vous sur you tube pour visionner une interview de l'auteur par Elisabeth Quin ou sur France Inter pour l'entendre parler de Paris avec une énergie et un enthousiasme communicatifs, ou encore sur France Inter, dans Le grand bain !

dimanche 4 mai 2014


Ecoute-nous

Liz Coley

Presses de la Cité, 2014


Traduit de l'américain par Valérie Malfoy

☀ 


Une lecture facile et rapide, à lire comme on irait voir un polar au cinéma pour se détendre et se changer les idées. Rien de plus, rien de moins.

Efficace : voilà le mot qui me vient pour caractériser ce livre.
Je ne suis pas forcément cliente de ce genre de «page-turner», mais se laisser emporter par une intrigue haletante peut à l’occasion se révéler fort agréable. Et là, j’avoue ne m’être résolue à reposer le livre sur ma table de nuit que lorsque les lignes commençaient à tanguer devant mes yeux !

L’auteur construit son récit sur un trouble assez récemment identifié et scientifiquement défini : les TDI, troubles dissociés de l’identité. Ceux-ci offrent une belle matière à fiction, puisqu’ils se caractérisent par un phénomène de protection mentale mise en place par un individu victime d’un traumatisme si intense qu’il se crée une, voire plusieurs personnalités alternatives qui lui permettent d’évacuer et oublier totalement ce qui l’a fait souffrir, provoquant au passage d’importantes pertes de mémoire. Ici, une jeune fille de seize ans retourne à son domicile après trois ans d’absence, croyant être partie seulement quelques jours plus tôt. Elle a de surcroît d’étranges cicatrices sur les membres... 
Psychologue, médecin, inspecteur, tous participent à une enquête qui nous fera découvrir quelle terrible expérience a connu la jeune fille.

Alors certes, il y a des faiblesses dans le fil du récit (certaines révélations trop rapidement expédiées ou étrangement escamotées pour ménager le suspense) et un traitement de la psychologie des personnages assez sommaire (la jeune héroïne trop mature, le père trop absent). Mais ne boudons pas notre plaisir. Si je devais comparer ce livre à un film, je dirais qu’il s’agit d’une bonne série B, d’un bon film de genre qui ne restera peut-être pas dans les annales, mais qui permet de passer un bon moment, «sans se prendre la tête».


vendredi 2 mai 2014

Le bleu des abeilles


Laura Alcoba

Gallimard, 2013



En revenant sur son enfance, Laura Alcoba signe un roman au ton personnel extrêmement touchant.

Voici un très joli petit roman. Et quand je dis « petit », je fais bien référence au format, car quant à son contenu, il possède à la fois la légèreté, la fraîcheur et la profondeur qui, ainsi associées, n’appartiennent qu’à l’enfance.
Laura Alcoba relève en effet fort brillamment le défi de relater quelques mois dans la vie d’une écolière du point de vue de l’enfant elle-même. Dans ce roman que l’on imagine assez largement autobiographique, elle évoque les souvenirs d’une fillette argentine qui, dans les années 70, alors qu’elle est âgée d’une dizaine d’années, part rejoindre sa mère exilée en France tandis que son père est retenu prisonnier dans les prisons de son pays.

Bien que la situation vécue par l’enfant soit grave - exil, séparation, immersion dans un pays inconnu dont elle ne maîtrise pas la langue... - le ton n’est jamais pesant et à aucun moment on n’est tenté de s’apitoyer sur elle. Bien au contraire: plus d’une fois il m’est arrivé de sourire à la lecture des scènes rapportées.

Ce qui fait tout le sel de ce récit, c’est le décalage permanent qu’il offre entre une situation ou un élément somme toute banals et la façon dont ils sont perçus.

Comme c’est très souvent le cas lorsqu’un étranger porte son regard sur un pays et une culture qui ne sont pas les siens, ce qui paraît évident et naturel à un natif prend d’un seul coup un caractère totalement inattendu. Par un changement de perspective, ce à quoi l’on ne prêtait jusqu’alors guère attention devient soudain un objet d’interrogation. Ainsi la découverte du reblochon revêt-elle pour la petite fille une expérience quasi existentielle... et nous-mêmes, après la lecture, ne dégusterons-nous sans doute plus ce fromage de la même manière ! 

Là où l’écriture devient de la haute voltige, c’est que l’auteure conjugue ce décalage culturel avec un second, de nature temporelle : en nous ramenant dans les années 70, l’auteur pointe avec malice les goûts et les modes de l’époque. Ainsi est-il question de manière récurrente d’un papier peint jaune, orange et marron à motifs en forme de tuyaux qui interpelle fortement la narratrice. De vous à moi, si vous appartenez à la génération née à l’aube des années 70, ne gardez-vous pas un certain traumatisme dû à la déco de cette époque ? Personnellement je conserve un souvenir très précis du papier peint qui était dans ma chambre, avec ses motifs géométriques dans les tons de vert pomme, assortis au parquet qui avait été peint dans la même couleur ! Et je ne parle pas de l’électroménager invariablement orange !  Rien que d’y repenser... Bref, tout ça pour dire que cet aspect du livre m’a particulièrement touchée !
Du fait de cette proximité générationnelle, les expériences vécues par l’enfant m’ont  inévitablement ramenée aux miennes et à mes propres souvenirs (la scène où la narratrice découvre Claude François à travers les yeux d’une jeune fan est absolument délicieuse !), rendant ainsi ce récit terriblement attachant.

Enfin, le roman est émaillé de réflexions sur la langue, que la petite fille s’efforce à tout prix de s’approprier. La maîtriser est en effet, pour elle comme pour sa mère, la condition de son intégration au pays qui l’a accueillie. Cela peut sembler évident, mais qu’une petite fille en ait le sentiment tellement aigu témoigne de sa maturité. Et, s’il se confirme que ce roman est effectivement inspiré de la propre vie de l’auteure, on se dit à lire ce très beau livre qu’elle a parfaitement réalisé son ambition.



J'ai eu la chance de rencontrer Laura Alcoba. Découvrez notre entretien ici




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